Portefeuilles-titres démembrés : comment prévenir les difficultés ?

Le démembrement de propriété est un grand classique de la gestion de patrimoine. Pourtant, les portefeuilles démembrés continuent de susciter incertitudes et vicissitudes, en raison du silence du droit ou de négligences de gestion. Quelques précautions s’imposent.

Titulaire d’un portefeuille de titres consistant, Monsieur V. décède en laissant pour lui succéder son épouse et leurs deux enfants. La première ayant opté pour l’usufruit successoral, le portefeuille se retrouve géré tout à la fois en indivision et en démembrement de propriété pendant près de dix ans.

Sur cette période, les revenus du portefeuille ont été le plus souvent réinvestis, parfois avancés à un enfant dans le besoin, une dernière fraction servant à régler l’impôt sur les plus-values de cession. Au décès de l’épouse, le prix de revient des titres ne pouvant être retrouvé, le fisc le retient pour zéro et il redresse les descendants sur l’impôt de plus-value qu’ils auraient dû acquitter personnellement tout en essayant de mettre en évidence une donation indirecte consentie aux enfants s’agissant des revenus que l’usufruitier s’était abstenu de percevoir…

Cette situation n’est pas si exceptionnelle : le dynamisme requis en matière de gestion boursière et l’absence de formalisme sont à l’origine de telles difficultés.

Un minimum de rigueur s’impose qui sera parfois récompensé par de belles économies fiscales.

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Les précautions à prendre

Un démembrement de valeurs mobilières requiert l’ouverture d’au moins trois comptes :

  • un compte-titres usufruit/nue-propriété,
  • un compte espèces pour capter le prix de cession des actifs démembrés en attente de remploi,
  • un troisième ouvert au nom de l’usufruitier, destiné à recueillir les intérêts et dividendes du portefeuille.

Mais l’ouverture d’un quatrième compte (titres) au nom de ce dernier peut également s’avérer nécessaire pour appréhender des dividendes en nature ou héberger le cas échéant les titres dont il est pleinement propriétaire.

L’ouverture et la fermeture des comptes démembrés doivent être décidées par tous leurs titulaires ou leurs mandataires (sauf bien sûr en cas d’extinction de l’usufruit, particulièrement au décès de son détenteur, puisque le démembrement cesse alors, la pleine propriété se reconstituant sur la tête du nu-propriétaire).

A défaut d’une gestion sous mandat, une convention entre usufruitier et nus-propriétaires présente plusieurs avantages.

La gestion d’un portefeuille titres requiert une certaine souplesse au quotidien à laquelle aurait fait obstacle l’obligation de prendre toutes les décisions y afférentes à l’unanimité. De façon appropriée, la Cour de cassation a posé la règle suivante: sauf convention contraire, la gestion des titres démembrés incombe à l’usufruitier qui peut ainsi décider seul des arbitrages à effectuer, à condition toutefois de conserver la substance du portefeuille1). En accordant à celui-ci tous les pouvoirs de gestion, cette solution évite un immobilisme qui eut été préjudiciable à la valorisation des actifs,

Mais elle comporte également des inconvénients : les intérêts des parties en présence peuvent s’opposer l’usufruitier privilégiant naturellement les placements distributifs, le nu-propriétaire recherchant à l’inverse une valorisation rapide de ses actifs.

Surtout, la position de la Cour de cassation suscite des questions qui n’ont toujours pas reçu à ce jour de réponse certaine l’usufruitier ne devant pas porter atteinte à la substance du portefeuille, enfreint-il cette règle s’il transforme un portefeuille actions en placements obligataires (et réciproquement) ? Ou s’il augmente ou réduit sensiblement le niveau de risque du portefeuille ? Son potentiel distributif ? Quelle est ainsi la marge de manœuvre de l’usufruitier sur la composition du portefeuille? Faute de précisions en droit positif, nombreuses sont les situations sujettes à discussion.

L’usufruitier n’ayant pas forcément les qualités de gestion requises, il doit renseigner e nu-propriétaire qui le lui demande sur la consistance du portefeuille pendant toute la durée de l’usufruit et pas seulement au terme. Pour éviter les désaccords, les contractants peuvent accorder un mandat de gestion à un établissement financier qui tend de son côté à encourager cette solution. Dans ce cas, le mandat doit être signé par toutes les parties ; toutefois, celui contracté par les seuls nus-propriétaires reste valable si l’usufruitier l’a ratifié.

Solution plus radicale, les difficultés rencontrées ou une gestion conflictuelle peuvent conduire les titulaires de droits démembrés à mettre fin au démembrement après quelques années de fonctionnement. Or cette décision impose d’arrêter les comptes des opérations précédemment effectuées, ce qui constitue une autre source d’interrogations. La répartition des titres s’opère en fonction des libéralités déjà reçues le cas échéant, des sommes avancées pour le compte de la succession (lorsque le démembrement a cette origine), des reprises et récompenses s’il y a lieu…

L’intervention d’un notaire peut alors s’avérer bien utile. Mais pas plus que le banquier, il ne pourra vérifier facilement que le compte n’a pas reçu de versements extérieurs et que l’affectation des revenus mobiliers à l’usufruitier et des plus-values au nu-propriétaire a été respectée.

De ce point de vue notamment, la société civile de portefeuille présente plusieurs avantages a liberté laissée au gérant pour réaliser les arbitrages, plus de souplesse pour gérer les biens des associés incapables, un suivi aisé des opérations puisque celles-ci s’effectuent toutes sur des comptes ouverts au nom de la seule société, évitant ainsi la juxtaposition de comptes démembrés et d’autres en pleine propriété à différents titulaires.

La société civile de portefeuille présente également des atouts en matière de transmission, s’agissant notamment du paiement fractionné ou différé des droits de succession, étant rappelé que l’option pour ce mode de règlement de l’impôt présente un intérêt tout particulier au titre des demandes formulées aujourd’hui, le taux du crédit consenti par l’administration étant de 1,90 % en 2016.

Mais bien sûr, le coût et les contraintes de gestion de la société invitent à cantonner son utilisation à la constitution de porte feuilles consistants.

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Les possibilités d’optimisation

La fiscalité des comptes titres démembrés suscite régulièrement des interrogations en matière de taxation des plus-values. Particulièrement favorable au contribuable dans le passé, la doctrine administrative est plus sévère pour les plus-values de cession de titres dont la propriété a été démembrée depuis le 3 juillet 2001.

Le principe en est le suivant : lors de la revente en pleine propriété de valeurs qui ont été démembrées par transmission, la fraction de la plus-value latente qui n’a pas été comprise dans l’assiette des droits de mutation à titre gratuit doit supporter l’impôt de plus-value.

Ce principe se décline de façon plus ou moins complexe selon les modalités du démembrement. Toutefois, dans le cadre d’une stratégie de transmission, les intéressés auront intérêt à reporter le démembrement sur le produit issu de la revente des valeurs mobilières démembrées. Car dans le cas contraire, c’est-à-dire si le prix est réparti entre les cédants, l’usufruitier en appréhende une partie (en pleine propriété) qui sera susceptible d’être de nouveau taxée dans sa succession… En cas de remploi du prix de cession avec report du démembrement, a plus-value est imposable au nom du nu-propriétaire (sauf quasi-usufruit). La plus-value est déterminée par la différence entre le prix de cession de la pleine propriété des titres et:

  • dans le cas où ni le nu-propriétaire ni l’usufruitier n’a disposé de la pleine propriété des titres avant leur démembrement, le prix d’acquisition de la pleine propriété des titres ou la valeur globale retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit ;
  • dans le cas contraire, le prix ou la valeur d’acquisition initiale de la pleine propriété majoré de l’accroissement de valeur du droit transmis constaté entre la date de l’acquisition initiale et la date de la transmission à titre gratuit ou onéreux (avec faculté, dans certains cas, d’utiliser le barème forfaitaire applicable en matière de droits d’enregistrement).

La durée de détention est calculée à partir du 1er janvier de l’année d’acquisition de son droit démembré par le redevable de l’impôt.

Cette règle n’a pas fait disparaître une pratique répandue qui consiste à payer le paiement de l’impôt de plus-value au moyen des liquidités dégagées par la revente de titres : or a prise en charge globale d’un impôt incombant légalement au nu-propriétaire est susceptible d’être assimilée à une donation indirecte…

La société civile de portefeuille offre liberté, souplesse et simplicité dans un environnement fiscal relativement attractif.

Un autre rappel s’impose. Sauf disposition contraire des parties, lorsque le nu-propriétaire et l’usufruitier cèdent en même temps leurs droits sur un bien dont la propriété est démembrée, le prix est partagé entre eux au prorata de leurs prérogatives.

Une convention ayant date certaine est donc nécessaire pour reporter le démembrement sur le prix ou sur d’autres titres acquis en remploi du prix de cession.

Si elle est omise, l’administration peut appliquer dans ce cas le traitement fiscal propre au partage du prix et donc considérer qu’une partie de celui-ci est appréhendée par l’usufruitier en pleine propriété, en tirant les conséquences de cette situation en ces de transmission ultérieure. Le Conseil d’État a jugé ainsi que la pratique consistant à déposer le prix de cession sur un compte titres ouvert au nom de l’usufruitier et du nu-propriétaire ne suffit pas pour établir le remploi du prix et le report du démembrement.

Envisagée suffisamment tôt, la mise en place d’un quasi-usufruit simplifiera grandement la gestion du portefeuille.

Une autre option fiscale est toutefois possible quand le démembrement a une origine successorale : les titulaires de droits démembrés peuvent prévoir dans le cadre d’une convention expresse, irrévocable, approuvée à l’unanimité et qui sera transmise à l’établissement financier teneur du compte, que l’usufruitier sera le seul redevable de l’impôt de plus-value. Cette option a priori séduisante est toutefois réservée aux portefeuilles démembrés par succession, non au titre d’une donation). L’administration ne paraît pas exiger que cette convention intervienne dès la réalisation du démembrement, avant la première cession ; en revanche son application ne semble pas rétroactive. Mais la forme notariée n’est pas obligatoire : les clients peuvent établir un acte sous seing privé établissant l’origine de propriété et la composition du portefeuille, comportant la désignation des parties et indiquant bien sûr leur accord sur l’imposition du seul usufruitier.

La donation avant cession d’un portefeuille démembré n’offre pas les avantages fiscaux habituellement attendus de cette opération : alors que la plus-value latente constatée au jour de la donation échappe définitivement à l’impôt y afférent en cas de transmission en pleine propriété, seule la fraction relative à la nue-propriété transmise en est exonérée en cas de donation démembrée.

Et l’abattement pour durée de détention ne viendra pas en réduire le montant si la revente est effectuée dans le prolongement, la donation constituant le point de départ du délai de détention.

La refonte de la doctrine administrative opérée dans le prolongement de l’arrêt du Conseil d’état de novembre 2015 n’a pas d’incidence sur ce point, étant cependant rappelé l‘intérêt qu’a le contribuable d’imputer en priorité ses éventuelles moins-values sur ses plus-values non abattues.

La constitution d’un quasi-usufruit sur valeurs mobilières peut s’avérer de ce point de vue bien plus satisfaisante : en raison de sa simplicité tout d’abord, puisque l’ouverture d’un compte-titres unique est suffisante ; la liberté de gestion accordée à son titulaire est de surcroît quasi-illimitée, car  quasi-usufruitier jouit, en plus de ses prérogatives classiques (usus et fructus) d’un pouvoir de disposition de ce qui lui est confié.

Le quasi-usufruit évite alors les inconvénients liés à un usufruit portant sur des biens non fructifères (Sicav de capitalisation par exemple) : ces biens n’assurant en effet aucun revenu à l’usufruitier, celui-ci peut se retrouver dans une position très délicate lorsque le nu-propriétaire refuse la cession des biens concernés. Et sous l’angle fiscal, la constitution du quasi-usufruit évitera la taxation des plus-values sur la tête du nu-propriétaire en cas de vente avec remploi ; de son côté, l’usufruitier pourra faire pleinement application de l’abattement pour durée de détention dans les conditions de droit commun…

Le quasi-usufruit sur valeurs mobilières prend parfois place au sein de montages plus sophistiqués. Il est généralement recommandé d’éviter la constitution, au profit du donateur, d’un quasi-usufruit sur le produit de la vente des biens démembrés.

Mais sur ce point, a doctrine du Comité de l’abus de droit fiscal (CADF) a évolué radicalement: après avoir estimé cette opération abusive, il tend à la valider, considérant que le nu-propriétaire donataire a été effectivement gratifié puisqu’il devient titulaire d’une créance de restitution à l’égard du quasi usufruitier.

L’établissement d’une convention de quasi-usufruit postérieure à la cession des titres préalablement donnés en nue-propriété n’est pas davantage contesté dans son principe par le CADF. Une mère ayant fait donation de la nue-propriété de titres d’une SAS à ses deux enfants, l’acte de donation comportant une obligation d’aliéner à la première demande de la donatrice et une obligation de remploi dans des titres eux-mêmes démembrés de façon à permettre à l’usufruitière d’en percevoir les fruits, les enfants cédaient quelques mois plus tard les titres concernés avant de décider de convertir l’usufruit de leur mère en quasi-usufruit.

Contrairement à l’administration qui considérait que la donatrice n’avait pas d’intention libérale, le CADF valide l’opération. La prudence ne s’impose pas moins, Car dans une affaire assez proche, l’abus de droit a été reconnu par le Conseil d’État en cas de conclusion d’une convention de quasi-usufruit, postérieurement à la cession de titres, cette convention ayant eu pour conséquence d’anéantir la clause de remploi initialement prévue lors de leur donation en nue-propriété et de permettre à la donatrice de disposer librement, sous couvert de quasi-usufruit, de a totalité du prix de cession.

Il faut dire que de trop nombreuses conventions et clauses de report d’usufruit sont sujettes à interprétation, hésitant entre démembrement classique et quasi-usufruit conventionnel, lorsqu’elles n’optent pas pour une solution inédite. Il faut ainsi veiller notamment à préciser dans ces clauses les règles de cession des actifs concernés et de remploi du prix de vente – qui n’incombent pas nécessairement au même décideur,

Le démembrement de propriété et l’indivision ont été envisagés par le législateur comme des solutions temporaires, même si bien souvent elles se révèlent durables.

Les difficultés rencontrées au titre de leur gestion doivent inviter leurs auteurs à s’assurer régulièrement de leur intérêt. Quand le démembrement se justifie, la rédaction d’une convention personnalisée pourra prévenir ou régler certains problèmes. Les professionnels y verront l’opportunité de mettre en valeur leurs compétences.

1 comment

Bonjour Monsieur,

Tout d’abord je vous adresse mes meilleurs vœux de santé, réussite et bonheur pour vous et ceux que vous aimez.
Je vous remercie pour vos éclairages intéressants sur une question complexe de quasi usufruit.
J’aimerais avoir si possible votre avis sur le point suivant.
Mon père décédé en juillet 2019 était titulaire d’un PEA tout comme ma mère. Au décès de mon père son PEA, bloqué dans le cadre de la succession, est demeuré inchangé dans sa composition jusqu’à ce mois de janvier 2021. Au contraire le PEA de ma mère a évolué avec des ventes, des achats de titres, des versements de dividendes.
En avril 2020, donc 9 mois après le décès, le notaire a établi une convention de quasi usufruit pour les deux PEA, ma mère étant usufruitière à 50% et propriétaire à 50% de la valeur cumulée V des deux PEA chiffrés sur la base de la valeur des titres à la date du décès de mon père.
A la suite de problèmes de transmissions de documents, de manque de réactivité des personnes concernées, agence de la banque en province, service de succession central de la banque en région parisienne, notaire, le compte de quasi-usufruit vient seulement d’être ouvert 19 mois après le décès de mon père.
Le notaire m’indique qu’il convient de transférer dans ce compte l’équivalent en titres et espèces de la valeur V établie dans la convention.
Au contraire la banque mentionne qu’il convient de ventiler les titres de chaque PEA moitié sur le compte usufruit et moitié sur le compte pleine propriété.
Pour le PEA de mon père c’est envisageable, à part que la banque « bloque » sur les quantités impaires de titres (!).
Pour le PEA de ma mère, c’est évidemment impossible, compte tenu des mouvements de titres opérés.
J’ai fait beaucoup de recherches sans trouver la solution que je cherche défendable face à un contrôle fiscal.
J’imagine pourtant que ce n’est pas la première fois que cette situation se pose, mais à part la détermination de la valeur V, le notaire n’a rien prévu dans la convention de quasi usufruit qu’il a rédigée…
Si vous avez déjà été confronté à ce genre de problématique, votre expérience me serait secourable.
Merci beaucoup par avance !
Bien cordialement.

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